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Paris, au matin du 18 juin 1815…

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Un passage extrait du témoignage de l’étudiant Emile Labretonnière.

« Un dimanche matin, de très bonne heure, il me semblait, tout en sommeillant, entendre de sourdes détonations; je me réveillai et écoutai attentivement. — Hippolyte ! m’écriai-je, transporté, à l’ami qui dormait près de moi, entends-tu ? – Quoi ! me dit-il en s’éveillant. – Le canon tire aux Invalides; c’est une grande victoire Nous nous levons à l’instant et courons nous informer. Le canon célébrait effectivement la victoire remportée le 16, par l’Empereur, sur les Prussiens à Ligny. Transportés de joie, nous nous rendons au café des Pyrénées pour y lire le bulletin ; là , l’orgueil brillait dans tous les regards; le canon des Invalides avait réveillé dans nos jeunes cœurs ces souvenirs de triomphe qui avaient bercé notre enfance; nous étions ivres de fierté; et c’était le 18 ! et le canon de Waterloo tonnait pendant ce temps-là ! Pour atténuer l’effet de la victoire, les royalistes répandaient les bruits les plus exagérés; je me souviens de l’enthousiasme avec lequel un étudiant de Grenoble, nommé Rousseau, vint m’annoncer que Wellington était pris, Blücher tué, etc., etc. Enfin, un petit bulletin parut dans le Moniteur, annonçant très succinctement la bataille de Ligny. Cependant, deux jours s’étaient écoulés et pas une nouvelle de l’armée de Flandre n’avait été publiée dans cet intervalle. On se disait bien tout bas que nous avions essuyé une défaite; mais cela nous paraissait impossible. Enfin, le 21 juin, en descendant dans la cour de l’hôtel, je vis presque tous les étudiants qui y demeuraient, dans une grande agitation et s’entretenant avec chaleur. Savez-vous la nouvelle ? me dit-on. On assure que l’armée a été anéantie et que l’Empereur est arrivé ce matin à Paris. En pareille circonstance, c’était toujours au café que nous allions nous mettre au courant; la consternation y était sur tous les visages. Cependant quelques personnes cherchaient à remonter le moral abattu des autres ; elles faisaient observer que ce n’était peut-être encore qu’une manœuvre des royalistes et qu’il était impossible que les affaires fussent assez désespérées pour que l’Empereur eût ainsi abandonné son armée. Elles oubliaient sans doute l’Egypte , Moscou et Leipzig.

Je n’étais pas homme à rester plus longtemps dans une aussi cruelle incertitude. Je courus, aussitôt après mon déjeuner, à la chambre des représentants. Une foule immense était entassée sur le grand escalier, et attendait que quelque chose transpirât de l’intérieur, où la séance venait de s’ouvrir dès onze heures. Comme on le pense bien, les versions les plus contradictoires circulaient parmi tous ces politiques en plein vent; un grand nombre révoquait même en doute l’arrivée de l’Empereur, prétendant qu’on confondait; c’était sans doute, disaient-ils, le prince Jérôme qui était pris pour Napoléon. Effectivement, Jérôme avait été blessé à l’attaque de la ferme d’Hougoumont, et cette circonstance avait transpiré avant qu’on connût la défaite de Waterloo. Pour savoir plus vite à quoi m’en tenir, je me rendis devant l’Élysée, que Napoléon avait choisi pour sa résidence d’été. Là, je vis un mouvement ne me permettant plus de douter de la présence du maître. La cour du palais était pleine de chevaux couverts de sueur et de poussière; des aides-de-camp y arrivaient coup sur coup, paraissant harassés de fatigue; quelques soldats de la cavalerie de la Garde impériale, étaient tristement assis sur un banc à la porte, pendant que les chevaux attendaient, attachés dans la cour. L’un des cavaliers avait la face bandée d’une cravate noire; tout respirait dans cette scène la honte et la douleur. Je retournai sur les degrés de la chambre des députés ; l’Empereur venait d’y envoyer un message pour lui annoncer le fatal résultat de la journée du 18. Nous attendions avec une anxiété inexprimable que quelqu’un sortît de la salle pour nous apprendre ce qu’on y venait de dire. Enfin un Monsieur apparaît , et le pauvre diable est appréhendé au corps. Je ne sais si c’était lui qui avait mal saisi le sens du message, ou si le gouvernement avait déguisé à ce point la vérité; mais il résultait seulement des réponses du sortant, que l’armée, trompée par l’obscurité sur la fin de la bataille de Mont-Saint-Jean, avait été saisie d’une terreur panique, et avait abandonné le champ de bataille dans un grand désordre. Du reste, l’Empereur annonçait qu’elle se ralliait sur la frontière ; il venait seulement demander à la Représentation Nationale de vouloir bien lui donner les moyens de rétablir la lutte , commencée sous de malheureux auspices, mais facile encore à rendre formidable. Le même jour, à deux heures du soir, parut un supplément au Moniteur, qui donnait le bulletin de Mont-Saint- Jean; car seulement après l’Angleterre, le nom de Waterloo succéda chez nous à celui-ci pour éterniser cette grande journée. Quelque funeste qu’elle fût pour les armes françaises, elle ne devint irréparable que par la faute commise par Napoléon en venant se confier à la chambre des représentants. Je me rappelle l’indignation générale qui se répandit dans tout Paris, quand il apprit que les deux chambres , non-seulement refusaient de concourir au nouveau plan de campagne que venait leur proposer l’Empereur, mais qu’elles exigeaient son abdication, et déclaraient traître à la patrie quiconque tenterait de les dissoudre. »

(E. LABRETONNIERE: « Macédoine. Souvenirs du Quartier Latin dédiés à la jeunesse des écoles. Paris à la chute de l’Empire et durant les Cent-Jours », Lucien Marpon, Libraire-éditeur,1863, pp.268-272)

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