Cette lettre se trouve en annexe de l’ouvrage contenant les rapports du marquis de Montchenu, commissaire français à Sainte-Hélène. On notera que le 15 août est le jour-anniversaire de la naissance de Napoléon.
Madame Mère à Lord Londonderry.
Rome, 15 août 1821.
Mylord,
La mère de l’empereur Napoléon vient réclamer, de ses ennemis les restes de son fils. Elle vous prie de vouloir bien présenter sa réclamation au cabinet de S. M. britannique, et à S. M. elle-même.
Précipitée du faîte des grandeurs humaines au dernier degré de l’infortune, je ne chercherai pas à attendrir le ministère britannique par la peinture des souffrances de la grande victime; qui, mieux que le gouverneur de Sainte-Hélène et les ministres, dont il a exécuté les ordres, ont été à même de connaître toutes les souffrances de l’Empereur ? Il ne reste donc rien à dire à une mère sur la vie et la mort de son fils ! L’histoire impartiale et juste s’est assise sur son cercueil, et les vivants et les morts, les peuples et les rois sont également soumis à son inévitable jugement! « Même dans les temps les plus reculés, chez les nations les plus barbares, la haine ne s’étendait pas au-delà du tombeau. La Sainte-Alliance de nos jours pourrait-elle offrir au monde un spectacle nouveau dans son inflexibilité ? Et le gouvernement anglais voudrait-il continuer à étendre son bras de fer sur les cendres de son ennemi immolé ? Je demande les restes de mon fils, personne n’y a plus de droits qu’une mère; sous quel prétexte pourrait-on retenir ces restes immortels ? La raison d’État et tout ce que l’on appelle politique n’ont point de prise sur des restes inanimés; d’ailleurs, quel serait, en les retenant, le but du gouvernement anglais ? Si c’était pour outrager la cendre du héros, un tel dessein ferait frémir d’horreur quiconque conserve encore dans son âme quelque chose d’humain ! Si c’était pour expier, par des honneurs tardifs, le supplice du rocher dont la mémoire durera autant que l’Angleterre, je m’élève de toutes mes forces avec toute ma famille contre une semblable profanation. De tels honneurs seraient, à nos yeux, le comble de l’outrage. Mon fils n’a plus besoin d’honneurs; son nom suffit à sa gloire, mais j’ai besoin d’embrasser au moins ses restes. C’est loin des clameurs et du bruit que mes mains lui ont préparé, dans une humble chapelle, une tombe…!
Au nom de la justice et de l’humanité, je vous conjure de ne pas repousser ma prière. Pour obtenir les restes de mon fils, je puis supplier le ministère, je puis supplier S. M. britannique. J’ai donné Napoléon à la France et au monde; au nom de Dieu, au nom de toutes les mères, je vous en supplie, Mylord, qu’on ne me refuse pas les restes de mon fils !