« Paris prenait un aspect de plus en plus belliqueux. Les gardes nationales mobiles y arrivaient de toutes parts; je me rappelle même que, tandis que l’armée ne manifestait son patriotisme que par ses acclamations en faveur de l’Empereur, les gardes nationaux y joignaient les vieilles manifestations des jours de gloire républicaine. Un jour, nous vîmes passer, devant le café où nous nous réunissions dans la rue de la Harpe, un long convoi de chariots et de char-à bancs chargés de villageois; c’était un fort détachement de garde nationale des environs, arrivant à Paris en partie de plaisir. Ils portaient tous la cocarde tricolore à leurs chapeaux de campagnards, agitaient des branches de lilas, et paraissaient animés du plus vif enthousiasme. L’un d’eux , homme d’une quarantaine d’années, vêtu d’une blouse, sur laquelle brillait la croix, était debout sur la charrette, et chantait la Marseillaise, dont il terminait chaque couplet par le cri de Vive la nation! Vive l’Empereur! que répétaient, avec transport, toutes les autres voitures. Ce fut la première fois que j’entendis, en plein soleil, retentir ces strophes marseillaises, qui, tant de fois, au moment de la bataille, étaient parties des premiers rangs de nos bataillons, comme autant de dards rapides allant planter l’épouvante dans les cœurs ennemis. Le public demandait, chaque soir, la Marseillaise à tous les théâtres ; chaque jour, en passant dans la rue des Grès, j’entendais son immortel refrain se mêler au bruit des limes et des marteaux, dans le cloître transformé en atelier d’armes; mais je ne me rappelle pas l’avoir entendu une seule fois exécuter par une musique de régiment. […] La triste expérience de 1814 avait démontré combien il était nécessaire de mettre la capitale à l’abri d’un coup de main. Si, le 30 mars [1814], Paris eût été fortifié sur la rive droite de la Seine, de manière à pouvoir tenir quarante-huit heures, c’en était fait de la coalition; l’Empereur, qui avait séparé de leur parc de réserve les armées russe et prussienne , tombait sur elles, de Fontainebleau , et les écrasait. Il fut donc résolu de fortifier Paris. Pour cela on fit venir des ports militaires un immense matériel d’artillerie de siège; l’esplanade des Invalides fut couverte de boulets, de pièces de canon et de caissons de toute espèce. Tout cet attirail de guerre était destiné à armer les hauteurs dominant Paris, qui, l’année précédente, avaient été le théâtre des pertes énormes essuyées par l’ennemi pour s’en emparer. La défense de toutes ces positions fut confiée au courage des officiers de marine et à l’artillerie du même corps, tandis que l’armée de ligne devait entrer en campagne. Ce fut surtout de Montmartre qu’on voulut faire un Fort redoutable, capable, à lui seul, de maintenir une armée.
D’immenses travaux de terrassement y furent exécutés avec une rapidité étonnante. Du côté de la plaine Saint-Denis ce n’était que batterie sur batterie, parapets, chemins couverts, pont-levis et chevaux de frise. Alors le gouvernement impérial n’avait pas le malheur d’exciter les soupçons qu’on a vus s’élever depuis, sur cette question des fortifications de la capitale; personne n’osa y voir autre chose que des remparts contre l’ennemi et non contre la liberté. »
(E. LABRETONNIERE: « Macédoine. Souvenirs du Quartier Latin dédiés à la jeunesse des écoles. Paris à la chute de l’Empire et durant les Cent-Jours », Lucien Marpon, Libraire-éditeur,1863, pp.228- 235).