On sait qu’à l’époque de la Restauration, historiens libéraux et pamphlétaires avaient affirmé que, lors du procès Ney, les pairs avaient fait bombance dans le palais même où ils venaient de condamner à mort le maréchal. Cette affirmation a soulevé l’indignation du duc de Broglie, qui, dans ses « Souvenirs » a déclaré avec netteté : « C’est une insigne calomnie. Il n’y a eu ni souper, ni rien de pareil. » Mais comme il lui était impossible de nier absolument qu’il y ait eu tout de même quelque chose, il reconnaissait cependant qu’il y avait eu « un simple buffet, dressé dans un cabinet par M. de Sémonville, où chacun pouvait demander soit un bouillon, soit un peu de pain. »
Le malheur est, pour le duc de Broglie, qu’un érudit qui a passé sa vie à étudier l’histoire parisienne, M. Hustin, a retrouvé dans la Comptabilité de la Chambre des Pairs une facture qui met le noble duc en fâcheuse posture.
Ce vieux papier, publié par le « Bulletin de la Société Historique du 6ème arrondissement » a été rappelé ces temps derniers à la « Commission du Vieux Paris » par un autre érudit, M. Paul Jarry, qui évoquait devant elle l’histoire du célèbre restaurant Foyot, aujourd’hui disparu sous la pioche des démolisseurs.
En 1815, le futur restaurant Foyot était tenu par un sieur Diguet. Et il se trouve que le sieur Diguet a facturé, rien que pour la soirée du 6 décembre où fut condamné le maréchal 160 repas, servis aux seuls pairs, dans la galerie de Rubens, à raison de 20 francs par tête, ce qui n’était pas mal pour le temps, 100 bouteilles de bourgogne, 8 de bordeaux, 4 de madère et 4 de malaga, sans doute pour les plus délicats. Et il y eut en outre 285 repas servis aux maréchaux, aux officiers et aux témoins Les mémoires du sieur Diguet, rapporte M. Paul Jarry, ne furent réglés que le 24 avril 1816, et encore fallut-il que Diguet produisit à leur appui deux attestations, dont l’une signée par les serveurs qui affirmèrent sur leur honneur et leur conscience » que le compte était sincère et exact.
Ce n’est pas pour rien, a ajouté M. Paul Jarry, que ceci se passait sous la Restauration…
En tout cas, la cause est jugée, et ceci doit nous inciter à nous montrer prudents quand nous utilisons des « souvenirs », même quand ce sont ceux d’un honnête homme comme le duc de Broglie.
Émile FRANCESCHINI.
(Article diffusé dans la « Revue des Études Napoléoniennes » n°8, 4ème trimestre 1939, pp.244-245).
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Le restaurant Foyot fut créé en 1848 ; il se trouvait à l’angle de la rue de Vaugirard et de la rue de Tournon. Très prisé des sénateurs, il est néanmoins démoli en 1938.