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Une LETTRE ADRESSEE au MARECHAL MASSENA en MARS 1815…

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Une LETTRE ADRESSEE au MARECHAL MASSENA en MARS 1815… dans TEMOIGNAGES massena.

Le maréchal de camp Rostollant commandait à Gap le département des Hautes-Alpes [actuel département des Hautes-Alpes] lorsqu’il apprit, le 4 mars, à midi, le débarquement de Napoléon. Il manda sur-le- champ la nouvelle à Mouton Duvernet qui lui promit de le joindre et l’engagea à rester fidèle aux Bourbons. Mais Mouton-Duvernet ne joignit pas son lieutenant, et Rostollant se trouva seul. Ses lettres et celles de son aide-du-camp, accompagnées de ses notes postérieures, montrent assez les sentiments qui l’agitaient au fur et à mesure des nouvelles qu’il recevait. Que faire ? Après avoir déploré ce « malheureux événement» et gémi sur les embarras qui le menacent, Rostollant ordonne à la gendarmerie de surveiller les gens qui circulent dans le département et de visiter leurs papiers avec le plus grand soin ; il prie le préfet d’empêcher la propagation des pamphlets et proclamations bonapartistes, d’armerla Garde nationale. Mais que pourra cette Garde nationale ? Ce n’est pas une pareille troupe, dit l’aide-de-camp Sonnet, qui « peut garantir des entreprises de l’ennemi ». Rostollant mande à Embrun cette garde nationale et il invite le maire d’Embrun à la loger et à la nourrir ; or, le préfet ne parvient à réunir que vingt hommes et ils refusent d’aller s’enfermer à Embrun ! En réalité, Rostollant ne dispose que d’une poignée de gendarmes, et c’est pourquoi il abandonne Gap à Napoléon ; il s’éloigne sous prétexte d’armer les places fortes. Mais ces places, Embrun, Mont-Dauphin, Briançon, il n’ose les dégarnir d’hommes, et résisteraient-elles si Bonaparte s’avisait de les assiéger ? Elles ont des bouches à feu en grand nombre, et elles n’ont pas un seul artilleur ! En vain Rostollant demande des canonniers au lieutenant-général Pernety qui commande l’artillerie de la division ; en vain il prie le lieutenant-général Marchand de lui envoyer en poste quelques compagnies du 4ème régiment d’artillerie à pied qui stationne à Grenoble. Voilà un général qui a des pièces de canon à foison et qui ne peut s’en servir ! Ce n’est pas tout. Lorsqu’il fait ordonner par le préfet au payeur de la guerre et aux receveurs du gouvernement d’expédier leurs caisses à Embrun, il ne reçoit que des caisses vides et, lorsqu’il fait prescrire aux officiers à demi-solde ou en congé de se jeter dans Embrun, pas un seul n’obéit ! Il se retire, dit-il superbement, dans ses places fortes, et il n’a ni vivres ni argent pour la solde, et il s’imagine que Napoléon se dirige sur Embrun, que Napoléon attaquera la forteresse d’Embrun, comme si Napoléon ne devait pas négliger Embrun de même qu’il a négligé Antibes ! Mais bientôt Rostollant a la conviction que Napoléon marche sur Grenoble, de là sur Lyon, et des familiers de l’Empereur ont dit hautement à Gap qu’il sera le 20 à Paris. Est-ce possible? Rostollant s’indigne. Non, Grenoble sera le nec plus ultra de Napoléon, et il déclare fièrement qu’il va suivre l’Usurpateur qui sera, de la sorte, pris entre deux feux, entre Marchand qui l’attend à Grenoble et Rostollant qui l’attaquera sur ses derrières. Il prend avec lui 600 hommes, tout ce qu’il y a de meilleur dans le 39ème régiment de ligne ; il marche sur Chorges, sur Saint-Bonnet, sur Corps. Que Marchand résiste fortement dans Grenoble, et lui, Rostollant, coupera la retraite à ce Buonaparte qui s’avance avec une incroyable sécurité et sans aucune pièce d’artillerie; il ne lui laissera aucun moyen d’échapper ! Sa confiance augmente lorsqu’il apprend que les troupes envoyées de Grenoble par le général Marchand ont refusé toute conversation avec celles de Bonaparte ; que l’avant-garde des rebelles a reculé à une lieue de La Mure ; que l’armée reste fidèle aux serments prêtés à Louis XVIII; que Napoléon bat en retraite puisque les portes de Grenoble lui sont fermées. Et Rostollant demande en hâte deux canons ; il compte être rejoint bientôt par Miollis qui se dirige sur Gap avec 3000 hommes ; il croit Napoléon perdu; oui, cet aventurier ne peut finir que très mal ! Il s’étourdit ainsi de ses propres paroles ; il juge l’esprit de ses officiers excellent; il assure que ses soldats sont bien disciplinés, qu’ils aiment et respectent leurs supérieurs, qu’ils obéissent en toute circonstance à leurs chefs. Pourtant, dans le secret de son cœur, il doute. Ils sont jeunes, ses soldats, et il faut peu de chose pour ébranler leur fermeté; ils détestent les Bourbons, et si Rostollant avait été sûr de leur fidélité, il les aurait menés à la rencontre de Bonaparte. Mais aller au-devant de Napoléon, n’était-ce pas, avoue le général, recruter son armée ? Et il ajoute qu’au fond, l’esprit de la troupe n’est pas très bon. Le 8 mars, au soir, il sait que Napoléon est entré à Grenoble après avoir fait enfoncer la porte sans qu’aucun coup de fusil n’ait été tiré. Tout est fini. Rostollant rétrograde ; il part, comme il dit noblement, pour les places de guerre de son département ; mais sur les 600 hommes qu’il avait avec lui, trois cents désertent dans la nuit et vainement des officiers courent après eux et tâchent de le ramener: ils marchent, eux aussi, comme Napoléon et à sa suite, sur Paris. Hélas ! s’écrie Rostollant, toute l’armée sera en insurrection ! Durant ces premiers jours de mars, il avait, en somme, agi de son chef et, ainsi qu’il s’exprime, de son propre mouvement, et en zélé royaliste. Mais lui aussi, connue Mouton-Duvernet, se rallia à Napoléon, et le 14 mars, après avoir remis le commandement du département au général Chabert, il se rendit à Grenoble, sur l’ordre de Mouton-Duvernet, avec les 39ème  et 49ème régiments qui composaient sa brigade. Huit jours après, le 22, il était mandé à Paris pour y recevoir les ordres du ministre et le 18 mai il arrivait à Rennes pour organiser, sous la direction du lieutenant-général Tarayre, la Garde nationale de la 13ème division militaire. Il assurait alors — dans une lettre du 10 avril — qu’il avait eu d’abord l’intention de rester à Gap pour y attendre l’Empereur; qu’il avait refusé de faire sauter le pont de Sisteron, exprimé le désir de ne mettre aucun obstacle au passage de l’Empereur ; qu’il était parti pour Embrun dans l’espoir que l’Empereur-, arrivé à Gap, lui donnerait des ordres, puis pour Corps dans le dessein d’être utile à l’Empereur ; qu’il avait « tout fait dans ces premiers moments embarrassants pour concilier l’honneur et le devoir avec rattachement et le dévouement qu’il n’avait cessé de conserver à l’Empereur ». Il n’avait plus que le nom de l’Empereur à la bouche et il sollicitait humblement la bienveillance de celui qu’il appelait  Buonaparte et un aventurier. En  revanche, sous la Seconde Restauration, il ne manqua pas de produire sa correspondance du mois de mars  et il disait, non sans raison, qu’elle « le justifiait et écartait tout soupçon de trahison ». Mais il n’avait pas de chance, et le 4, septembre 1815, il était mis à la retraite.

 Arthur CHUQUET.

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Embrun, 7 mars, 8 heures du matin.

J’ai l’honneur de vous rendre compte que l’avant-garde de Buonaparte est arrivée à Gap le 5 mars, à 9 heures du soir. Il est arrivé en personne vers les 1 heures du soir, et n’est reparti qu’hier à 1 heure et demie de l’après-midi. Son escorte n’était que de 300 hommes ; mais l’on attendait hier soir, à Gap, un bataillon de flanqueurs fort, dit-on, de 300 hommes. Ne connaissant point la marche qu’il devait prendre et n’étant pas sûr de la fidélité du pou de troupes que j’ai sous mes ordres, je me suis borné à garantir les places de mon département de toute surprise. J’ai une nombreuse artillerie, mais pas d’artilleurs. Je suis sûr, maintenant, qu’il se dirige sur Grenoble, et, de la rapidité avec laquelle il marche, il doit arriver demain. Je fais un choix dans les troupes d’environ 600 hommes, sur lesquels je peux le plus compter et marche sur ses derrières et si, comme j’ai lieu de le croire, il éprouve une forte résistance de la part de M. le lieutenant-général comte Marchand qui commande à Grenoble, je lui couper la retraite et ne lui laisse aucun moyen d’échapper. J’ai cru devoir vous instruire de ces mouvements afin que vous preniez les mesures que vous jugerez nécessaires.

(Arthur Chuquet, « Lettres de 1815. Première série [seule parue] », Librairie ancienne, Honoré Champion, Editeur,1911 pp.47-51 et p.70).

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