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Exposé de la conduite du colonel Izoard [à Grenoble, en mars 1815].

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RETOUR EMPEREUR

On sent dans le récit du colonel Izoard-qui commandait à Grenoble le 3ème régiment du génie- et d’un bout à l’autre, que l’auteur de cet « Exposé » est un homme de labeur et de conscience, uniquement préoccupé de son métier, et il retrace ce qu’il a fait et vu avec un minutieux et véridique détail. Mais que pouvait Izoard contre le peuple et les soldats qui, comme il dit, s’excitaient réciproquement ? Après que le 7ème régiment de Labédoyère, après que le bataillon du 5ème et la compagnie de mineurs s’étaient, ainsi que s’exprime encore Izoard, réunis à Bonaparte, comment les sapeurs n’auraient-ils pas criés, eux aussi : « Vive l’Empereur ! » ?

Arthur CHUQUET.

«Le commandement du 3ème  régiment de génie, en garnison à Grenoble, me fut confié au moment de son organisation, le 11 octobre 1814. Dès ce moment tout mon temps fut employé à l’administration, à la discipline et aux diverses branches d’instruction de ce corps, et j’ai été étranger à tout ce qui pouvait se passer hors du régiment.

Le 5 mars, M. le lieutenant-général comte Marchand convoqua chez lui les généraux, les colonels et majors des régiments, les chefs de corps et des administrations, et nous fit part de la nouvelle qu’il venait de recevoir du débarquement de Bonaparte, et de l’avis qu’on lui donnait qu’il se dirigeait sur Grenoble.

En sortant de chez lui, je pris toutes les mesures qui étaient en mon pouvoir pour prévenir tout désordre. Je fis prendre les armes dans la cour de la caserne. Je réunis les officiers devant le front du régiment, et après leur avoir fait part de cette nouvelle, je leur déclarai formellement que nous n’aurions jamais d’autre règle que notre devoir envers le souverain et une obéissance parfaite aux ordres de M. le lieutenant-général commandant la division. Je fis former le cercle dans chaque compagnie, et fis défendre, sous les peines les plus sévères, à tout sous-officier et soldat de se trouver dans aucun groupe, et de prendre part aux nouvelle qui pourraient circuler. Je consignai à la porte de la caserne toute personne étrangère au régiment, autre que les généraux et officiers de service. Mais, malheureusement, il y avait 4 compagnies logées dans la ville et les faubourgs. Pour m’assurer de l’exécution des ordres ci-dessus, et pour parer à l’inconvénient qu’il y avait d’avoir un tiers du régiment disséminé dans la ville, j’ordonnai des patrouilles fréquentes de jour et de nuit, composées d’officiers et de sous-officiers. J’augmentai le nombre des appels le jour et fis faire des contre-appels la nuit. En outre, je chargeai le chef de bataillon le capitaine, l’adjudant-major, les sous-officiers, l’adjudant et les sous-officiers de semaine de savoir ce qui se disait dans le régiment et de m’en rendre compte.

Le 6 mars, je reçus l’ordre à midi de faire partir une compagnie de mineurs qui fut mise à la disposition du chef de bataillon du génie, Tournadre, pour faire sauter le pont de La Mure. Cette compagnie se mit en marche sur le champ avec la poudre et les outils nécessaires pour cette opération ; elle avait l’ordre de l’état-major général de suivre le mouvement d’un bataillon du 5ème  régiment, qui devait protéger son travail et dont me chef commandait la colonne.

Pendant les journées des 6 et 7, et une partie de la nuit du 6 au 7, les autres compagnies, conduites par des officiers du régiment, ont été employées à refaire les banquettes, à construire et placer des barrières, à barricader les portes de la ville, etc., sous les ordres des officiers du génie de la place.

Tous les rapports des officiers et sous-officiers de service portaient que les mineurs te sapeurs n’étaient occupés que de leur travail, et  je m’assurai par moi-même qu’ils le faisaient avec zèle.

Le 7, à 6 heures du soir, je reçus l’ordre de faire quitter le travail, de faire prendre les armes, de placer le 1er bataillon dans la cour de la caserne, près du rempart, et le 2ème à la citadelle. Cet ordre fut exécuté sur le champ, et je fis distribuer des cartouches. M. le maréchal de camp, commandant le département, vint s’assurer par lui-même que l’ordre était exécuté.

Le départ du 7ème régiment qui avait forcé les portes à 3 heures après-midi, avait produit un effet très fâcheux sur l’esprit de toute la garnison. Le soir, les soldats apprirent encore que la bataillon du 5ème  régiment et la compagnie des mineurs s’étaient réunis à Bonaparte. Néanmoins, les sapeurs furent contenus dans l’ordre par les soins des officiers, lorsque déjà les troupes qui étaient sur les remparts, et tout le peuple, criaient : « Vive l’Empereur ! »

Ne recevant point d’ordres, j’allais moi-même chez M. le lieutenant-général Marchand lui en demander. Je le trouvai au moment où il partait. Il me prévint qu’on enfonçait les portes de la ville, et me dit de me retirer sur Barraux. Je revins sur le champ, et allai successivement aux deux bataillons ; mais pendant mon absence, les cris des troupes voisines avaient gagné le régiment, et il fut impossible de se faire entendre aux soldats.

Je pris alors le parti d’abandonner le régiment, et dis à M. le major d’aller à Barraux. Je passai chez moi pour ployer le drapeau et l’emporter (J’ai laissé ce drapeau aux archives du corps, où il a été conservé par le major. Note d’Izoard-). Pendant l’intervalle, des soldats de la garde, conduits par le colonel du 7ème  régiment, s’étaient emparés des portes, et au moment où je montai à cheval pour partir, le chef de bataillon, commandant de l’école, qui se retirait également à Barraux, et qui en avait été empêché, vint me prévenir que je ne pouvais plus sortir. J’avais renvoyé mon factionnaire et les ordonnances, et dans le régiment on me croyait parti. Si je n’avais pas eu l’intention d’exécuter les ordres de M. le lieutenant-général commandant la division, je n’aurais pas été moi-même en demander. Mais, malheureusement, je les reçus trop tard, et me trouvai dans le même cas que tous les autres chefs de corps qu’on envoya chercher le 8 au matin. Le général Bertrand me mena à Bonaparte qui m’ordonna de lui conduire le régiment pour en passer la revue.

N’ayant pas pu sortir de la ville dont les portes étaient gardées, étant à la discrétion de Bonaparte, les scènes tumultueuses et les vociférations qui avaient eu lieu pendant la nuit du 7 et la matinée du 8 entre le peuple et les soldats qui s’excitaient réciproquement, faisant craindre qu’ils ne se portassent aux plus grands désordres, placé entre deux écueils, et le régiment étant, depuis son entrée la veille au soir, à la disposition de Bonaparte, sans que j’eusse pu l’empêcher, je me déterminai à exécuter son ordre, afin d’éviter le mal, si je le pouvais. Aucun autre motif n’est entré dans cette détermination.

Après la revue, le général Bertrand me donna l’ordre de faire une adresse. Je ne répondis rien. A 7 heures du soir, il m’envoya chercher, me dit que celles des autres corps étaient déjà imprimées, et me demanda celle du régiment. J’en minutai une qui ne lui convint pas, et me retirai. Après mon départ, il en fit une autre qu’il envoya à l’imprimerie. A une heure après minuit, il m’envoya encore chercher pour me demander le nom des officiers. J’envoyai une garde à l’imprimerie pour empêcher qu’elle ne fût remise. Tout ce que je pus obtenir, c’est qu’on ne la tirerait pas avant qu’elle eût été communiquée aux officiers et qu’on n’apporta une copie signée d’eux. Quoique cette copie n’ait jamais été remise à personne, et que je l’aie brûlée moi-même, on ne la rendit pas moins publique après notre départ.

A mon arrivée à paris, mon premier soin fut de demander à être remplacé au régiment, et d’être employé dans une direction.

Quant aux articles additionnels des prétendues constitutions de l’Empire, je ne les ai point signés, et n’ai prêté aucun serment à Bonaparte, ni de vive voix, ni par écrit. Me trouvant aux bureaux de la guerre peu de jours après que cette pièce eut paru, je déclarai positivement devant M. le maréchal de camp, chef de la 7ème division, que je ne les accepterais jamais.

Je n’avance rien qui ne soit conforme à la vérité. On peut consulter sur cela M. le lieutenant-général comte Marchand, commandant la 7ème division, et le lieutenant-général Maureillan, qui se trouvait à Grenoble le 5 et le 6 mars.

Je suis arrivé dans cette direction dans le mois de mai, et ne me suis mêlé que des fortifications. On peut prendre à cet égard des informations dans le département. Depuis le retour du Roi, soit comme directeur des fortifications, soit comme commandant le département dont j’ai été chargé par M. le lieutenant-général Marchand, j’ai donné tous mes soins à conserver à Sa Majesté les places de cette direction, et particulièrement Briançon et Mont-Dauphin. Je crois ne rien hasarder en assurant que j’y ai eu une très grande part. On peut prendre des informations à ce sujet auprès de MM. les généraux commandants et de MM. les préfets et sous-préfets.

Voilà l’exposé sincère de ma conduite. Je sers depuis vingt-deux ans dans un corps où j’ai souvent reçu des témoignages d’estime, et dans lequel j’ai joui jusqu’à présent de la bienveillance de mes chefs et de l’amitié de mes camarades. Dès mon enfance, j’ai été occupé des études nécessaires pour y être admis, et depuis cette époque tout mon temps a été employé aux différents services dont j’ai été chargé. Je suis étranger à toutes les révolutions ; le sort m’a conduit à différentes armées où j’ai fait douze campagnes et plusieurs sièges. J’y ai ruiné ma santé et dépensé une grande partie de ma modique fortune. Ce n’est point un motif d’intérêt qui me guide dans ce moment, et qui me fait solliciter un avais favorable à ma conduite ; c’est un sentiment plus impérieux, celui de l’honneur qui m’est plus cher que la vie. »

Le colonel du génie,

J. IZOARD.

Mont-Dauphin, le 4 novembre 1815

(Arthur CHUQUET, « Lettres de 1815. Première série [seule parue] », Librairie Ancienne, Honoré Champion, éditeur, 1911, pp. 132-139).

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