Voici comment le comte Anglès, déjà cité dans « L’Estafette », raconte cet événement. Si Joséphine trouve grâce à ses yeux, il n’épargne pas l’Empereur, en bon fonctionnaire royaliste qu’il est…
C.B.
Rapport du 31 mai 1814. La mort de Madame de Beauharnais a excité généralement des regrets. Cette femme était née avec de la douceur et quelque chose d’élégant et d’aimable dans les manières et dans l’esprit; elle n’était pas sans instruction et sans quelques goût des beaux-arts. Malheureuse à l’excès, durant le règne de son mari, elle s’était réfugiée contre sa brutalité et ses dédains dans la culture de la botanique et avait été assez loin dans cette science aimable. Depuis sa retraite, elle avait fait de la Malmaison un séjour enchanteur riche de trésors de plus d’un genre. Le public était instruit des combats qu’elle livrait pour arracher des victimes à Bonaparte et lui avait su gré d’avoir embrasé ses genoux pour sauver le duc d’Enghien ; seule, au milieu de ces corses fastueux, elle parlait la langue des Français et devinait leur cœur. La bonne compagnie lui donna des regrets ; le peuple, qui ne veut pas permettre aux personnages un peu fameux de mourir de leur mort naturelle, veut qu’elle ait été empoisonnée. La vérité est que, mal disposée, mercredi dernier, lorsque que l’empereur de Russie l’honora de sa visite, elle fit des efforts pour accompagner ce prince dans ses jardins et qu’elle y gagna un refroidissement dont elle a été, dit-on, si maltraitée, qu’elle a succombé après quatre jours de maladie.
Son fils, le prince Eugène, n’a point fait imprimer de billets de part [des faire-parts], mais il en a envoyé, à la main, de forts modestes où il a éludé la difficulté de donner des titres à sa mère. Il s’est retiré avec sa cœur dans la terre de Saint-Leu, qui appartient à cette dernière .
(Georges Firmin-Didot, « Royauté ou Empire. La France en 1814. D’après les rapports inédits du comte Anglès », Maison Didot, Firmin-Didot et Cie Éditeurs, s.d. [1897], pp.20-21).