Après Waterloo, et une fois connue la nouvelle du départ de l’Empereur, une sorte de stupéfaction s’empara de la France, qui s’était sentie toute entière engagée dans la grande aventure de son souverain. Alors commence à se répandre dans le pays, spontanément sans doute, et dans les campagnes surtout, les rumeurs les plus étonnantes. L’Empereur n’est pas parti, c’est certain ; il attend son heure. Napoléon a réussi à s’évader ; il va revenir ; il vient des Etats-Unis avec la flotte américaine ; il arrive par le Piémont avec le prince Eugène. On signale sa présence dans un village de l’Isère, en Normandie, à Lyon. L’idée que le souverain, récemment encore le plus puissant du monde, est maintenant en exil dans une île lointaine, séparé de son seul enfant, paraît inconcevable ; et le public croit à son retour. Les anciens soldats des guerres napoléoniennes font entendre leur voix dans ce concert d’espérances. L’on a quelquefois douté de leur rôle. On a calculé qu’en 1815, il n’y avait que 20.000 officiers en demi-solde et 5.000 seulement en 1823. Mais des hommes décidés, même relativement peu nombreux, peuvent exercer sur l’opinion une influence décisive. Et les vétérans de la grande armée étaient plusieurs centaines de milliers. Ceux qui avaient combattu à Waterloo furent regroupés, notamment au Sud de la Loire, puis dispersés et licenciés. Certains avaient pris les devants, qui avaient refusé d’arborer la cocarde blanche. La plupart revinrent silencieux, dignes, peu enclins aux confidences, mais gardant profondément gravé au fond du cœur le souvenir de leur gloire, et prêts à s’insurger contre le régime au pouvoir.
Daniel LEUWEN.