Le lecteur qui parcourt « Le médecin de campagne » (paru pour la première fois en 1833) d’Honoré de Balzac, peut y croiser un certain commandant Genestas : « … ma vie est la vie de l’armée ; toutes les figures militaires se ressemblent. N’ayant jamais commandé, étant toujours resté dans le rang à recevoir ou à donner des coups de sabre, j’ai fait comme les autres. Je suis allé là où Napoléon nous a conduits, et me suis trouvé en ligne à toutes les batailles où a frappé la Garde impériale. », Genestas au bon docteur Benassis (le fameux Médecin de campagne). Comme bien souvent dans l’œuvre du grand écrivain, l’imaginaire est inspiré de la réalité. Le personnage qui avait les traits du lieutenant-colonel Pierre-Joseph Genestas, était un des amis de Balzac : Louis-Nicolas Périolas, ayant participé aux campagnes de l’Empire. « Périolas était d’une taille au-dessus de la moyenne et d’une figure « si belle et impassible » qu’elle resta gravée dans la mémoires de ceux qui la connurent », écrit Jouenne d’Esgrigny dans ses « Souvenirs de Garnison » (publiés en 1873). Marcel Bouteron, un des plus éminents balzaciens du début du 20ème siècle, ajoute que « Le caractère de Périolas était à l’avenant : « froid et réfléchi, calme et ferme, quelquefois un peu roide, quoique soumis », nous disent les notes des inspecteurs.
Un beau type de soldat !
Avec cela, « capable », savant, d’une grand instruction théorique, connaissant toutes les manœuvres, parlant l’allemand et l’italien ». Si Balzac fait naître Genestas en 1779, Louis-Nicolas Périolas, lui en revanche, voit le jour le 23 octobre 1785, à Tournon, dans l’Ardèche. Issu d’une famille d’ingénieurs des travaux publics du Vivarais, il fait ses études au célèbre collège des Oratoriens de sa ville natale, devenu École centrale sous le directoire. » Bouteron précise : « Nous savons même que ce futur guerrier y remporta ; en l’an IX, un deuxième accessit de grammaire et un troisième prix d’histoire qu’il vint recevoir le 28 fructidor, vêtu de neuf et les cheveux bien poudrés, en présence de la plus noble assemblée. » Toujours selon Marcel Bouteron : « Son père, devenu officier du génie an l’an III, avait fait campagne sous l’Empire, principalement en Italie, avec le prince Eugène, et, directeur des ponts sur pilotis de la Grande Armée, était mort Dantzig, en 1813. Son frère cadet, Michel, qui avait débuté dans l’armée comme vélite, « est péri », nous dit un certificat de 1815 « dans les dernières guerres d’Espagne ». « Louis-Nicolas Périolas, quant à lui, entra au service à l’âge de dix-huit, comme lieutenant de 2ème classe dans l’armée italienne en 1803. Tour à tour sapeur, artilleur à pied, artilleur à cheval, il fait campagne en Italie, Dalmatie, Allemagne, Tyrol, Russie, prend part au siège de Raab, où il est décoré, assisté à dix-huit batailles, dont Caldiero, Wagram, Ostrowno, La Moskowa. Quels souvenirs !
A la chute de l’Empire, l’armée italienne est dissoute, et Périolas mis en non-activité comme capitaine. Il reprend du service aux Cents-Jours, est remis en non-activité après Waterloo, puis rappelé à l’activité en 1816, comme capitaine au 3ème régiment d’artillerie à pied à Valence. Enfin en 1820, selon Bouteron, il est nommé capitaine instructeur à Saint-Cyr, et c’est là que Balzac le connut, sans doute en l’année 1828. » A cette époque Périolas, âgé de 43 ans, toujours capitaine, et chevalier de Saint-Louis, instruisait, depuis huit années, les subtilités de l’artillerie. Il convient de souligner qu’il avait succédé dans ce domaine au commandant Carraud, promu sous-directeur des études. Le couple Carraud faisait partie du petit cercle des amis intimes de Balzac. Le grand écrivain avait connu tout d’abord Zulma Tourangin (1796-1889) qui fut son ami d’enfance, comme l’a montré le balzacien Thierry Bodin (et non par Laure, la sœur de l’écrivain). Zulma avait épousé en 1816, un autre militaire des armées de Napoléon : François-Michel Carraud (1781-1864). C’est donc dans le cadre de l’école militaire de Saint-Cyr, lors de ses séjours qui le dépaysaient, que Balzac rencontre la première fois Périolas, mais pas seulement. « …il y a là quelques officiers qui aiment [à] évoquer leurs campagnes de la Révolution et de l’Empire », selon Th. Bodin. Non seulement le nouvel ami de Balzac mais aussi le lieutenant Dupacq, le chef de bataillon Viennot, le capitaine Chapuis (blessé à Waterloo à la tête de sa compagnie de Grenadiers et auteur notamment d’une étude sur la Bérésina) et le colonel Nacquart. « Balzac écoute avec enthousiasme toutes ces histoires de militaires, qu’il retiendra pour écrire ses Scènes de la vie militaire, comme Adieu, Une passion dans le Désert, Le Colonel Chabert, ou bien le grandiose projet de La Bataille, qu’il portera en lui des années, et dont il n’écrira jamais qu’une dizaine de mots » (Thierry Bodin). «La Révolution de 1830 va rompre ces amicales relations. L’École a pris parti pour le roi déchu, la disgrâce est menaçante. En juillet 1831, le petit groupe commence à se disloquer : les Carraud étaient nommés à la poudrerie d’Angoulême. Mais Périolas restait, Périolas de qui l’on avait déjà tiré plus d’un renseignement profitable sur les horreurs d’Eylau et de la Bérésina. Justement, en mai 1832, il était encore là, et sa présence pouvait véritablement passer pour providentielle », écrit Marcel Bouteron. Pour en revenir à « La Bataille », roman avorté, ce n’est pas faute pourtant d’avoir puisé dans les souvenirs et récits du fidèle Périolas ! « La Bataille », au titre si prometteur, ne verra jamais le jour. Projet sans cesse reporté, il est définitivement rangé dans les tiroirs suite à l’accident de voiture de Balzac, survenue le 20 mai 1832. En effet, Balzac qui avait promis à Périolas de venir à Saint-Cyr, lui fera faux-bond. Ce qui fera écrire au militaire un peu amer, à Balzac, le 21 mai 1832 : « Vous n’avez pas manqué seulement à votre parole, mais vous avez été encore été mal avisé, et pour un homme d’esprit ceci est autrement désolant : sachez donc que vous auriez fait un excellent dîner servi par la délicieuse main de Mme Bergeron [Femme du commandant Xavier Bergeron, officier de Saint-Cyr] : la circonstance était on ne peut plus favorable pour prendre un avant-goût des douceurs de la survivance. De plus, vous eussiez siroté le champagne avec quatre troupiers finis échappés aux gloires de Wagram, et les renseignements que vous désirez eussent tombés [sic] sur vous comme de la mitraille céleste… Maintenant vous pouvez venir quand vous voudrez, mais avec la meilleure volonté du monde, je ne pourrai vous donner à exploiter une mine aussi riche de sensations et de renseignements : vous ne trouverez que des atlas, des livres et mon triste verbiage. Mme Berg.[eron] vous boude, moi je vous abomines [sic] » « Après un séjour à Saché [en Touraine, chez son ami Jean de Margonne, lequel possédait le charmant château que l’on peut encore voir de nos jours] de juin à octobre 1832, l’homme de lettres ne retrouvera pas « le bon Périolas » à Saint-Cyr : ce dernier a été nommé chef d’escadron à Metz au 2ème régiment d’artillerie ; il quitte donc l’École vers septembre 1832. Dans toutes sa correspondance, de juillet 1832 à janvier 1833, Balzac évoque « La Bataille », il croit en entendre le ronflement du canon, il est à Wagram, le 6 juillet 1809 ! Ne s’est-il pas s’est engagé auprès des éditeurs Dieulouard et Mame à livrer dans les délais son manuscrit ? Mais le 10 octobre 1832, il confie à son amie de toujours, Zulma Carraud : « Vous avez gagné ! Il n’y a pas une ligne d’écrite sur la Bataille ». L’écrivain remboursera en 1833 ses acomptes, mais ce projet le hantera jusqu’à sa mort… Quant à Périolas après son séjour à Metz, « il tiendra garnison à Bourges en 1835, à Besançon en 1837, à Lyon en 1839 » écrit M. Bouteron qui ajoute : « Les deux amis ne se verront plus guère, s’écriront peu, mais toujours dans les termes les plus affectueux. En 1838, Périolas envoie aux Jardies [La propriété que Balzac possède à Sèvres près de Paris. Il sera obligé de s’en défaire en 1840, après l’échec du lancement de sa « Revue Parisienne »] deux barriques de vin de son pays de Tournon, du vin de l’Ermitage, demandées par Balzac ». La fidèle Zulma Carraud, amie de l’un et de l’autre, continue par sa correspondance entretenue avec ces derniers, à être une intermédiaire improvisée. Plus tard, en 1844, le grand écrivain dédie son roman « Pierre Grassou » à Louis-Nicolas Périolas, « comme un témoignage de l’affectueuse estime de l’auteur »
Le militaire continue sa route : devenu officier de la Légion d’honneur en 1837, lieutenant-colonel en 1843, il est nommé en 1845 sous-directeur de l’artillerie au Hâvre. « C’est là que Balzac le revoit en débarquant d’un de ses voyages d’Allemagne ». Périolas est mis à la retraite en 1845 ; il s’installe alors à Lyon. Celui qui fut un des inspirateurs militaires d’Honoré de Balzac survivra de neuf années à ce dernier : il s’éteint le 16 mars 1859, âgé de 74 ans.
C.B.
Sources :
Honoré de Balzac : « Correspondance inédite avec le Lieutenant-Colonel Périolas (1832-1845) », Paris, Les Cahiers Balzaciens, 1923.
Honoré de Balzac : « Correspondance. Textes réunis, classés et annotés par Roger Pierrot », Tome I, Editions Garnier Frères, 1960.
Honoré de Balzac : « Le Médecin de campagne. Introduction, notes et relevés de variantes par Maurice Allem », Classiques Garnier, 1961.
Fernand Lotte : « Dictionnaire biographique des personnages fictifs de la Comédie Humaine. Avec un avant-propos de Marcel Bouteron »,
Librairie José Corti, 1952.
«Une amie de Balzac : Zulma Carraud », par Thierry Bodin sur le site : http://carraud.com/