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Propos de demi-soldes et attitude des militaires (1815)…

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DS« 26 janvier 1815.- Hier, vers quatre heures après midi, on aperçut neuf officiers se promenant ensemble dans le jardin des Tuileries. On s’approcha d’eux pour entendre leurs discours qui respiraient le fiel, l’amertume et la menace même. « Pourquoi, se disaient les plus animés parmi eux, n’entrerions-nous pas dans ce château, en montrant les Tuileries ?  » . »Pourquoi n’irions-nous pas y demander notre solde arriérée, notre pension entière de la Légion d’honneur ? Faut-il donc nous dépouiller ainsi au profit des émigrés, des chouans et des prêtres ?  » Si j’en crois les rapports que j’ai sous les yeux, ils finirent par convenir, entre eux, de chercher un certain nombre de camarades, dans le même cas qu’eux, de se porter ensemble au château, l’un de ces jours, à l’heure, de la messe, non avec des desseins criminels, mais pour présenter une pétition au Roi et tâcher d’en obtenir, ainsi, ce qu’ils ne peuvent obtenir du ministère. L’agent qui m’a rapporté ces propos assure ne connaître aucun de ceux auxquels il les attribue. Ils disparurent et se dispersèrent, pendant qu’il allait chercher quelques personnes qui pussent l’aider à les suivre. Tout en le blâmant de n’avoir pas, au moins, su me signaler quelqu’un de ces officiers, j’ai donné des ordres pour rechercher, avec soin, s’il existait réellement, parmi les militaires, quelques traces d’un projet tendant à se porter vers le château. Une pareille idée, si elle se combinait entre un certain nombre, ne pourrait manquer de percer, par le besoin même de se concerter à cet égard et, si elle n’était que la conception de quelques-uns, seulement, elle ne serait pas dangereuse, puisqu’il y aurait toujours des moyens suffisants pour les écarter, s’ils se présentaient aux Tuileries. Aussi bien, je dois reconnaître que les militaires sont toujours animés d’un mauvais esprit; je n’en veux d’autre preuve qu’une scène qui vient de se passer au Palais-Royal et qui est digne d’attention, moins par elle-même que par quelques-uns de ces mots qui peuvent n’être que des indiscrétions et qui sont une indication de projets cachés. Un officier, cédant à un besoin naturel, s’était arrêté auprès de la galerie de Bois [galerie se trouvant alors au centre du Palais-Royal près de nos colonnes de Buren] ; un marchand, occupant une boutique voisine, sortit alors en l’engageant à s’éloigner. L’officier se retirait, lorsqu’un de ses camarades lui dit : »Quoi ! Tu te laisserais mener ainsi par un pékin ?  » (Injure ordinaire des militaires contre les bourgeois.) De là, une violente altercation, à la suite de laquelle, des inspecteurs de police sont accourus et ont requis les deux militaires de se rendre au corps de garde. Mais ceux-ci ont refusé d’obéir et beaucoup de leurs camarades se sont rassemblés en prenant leur parti. « Non, s’écriaient-ils, on ne les arrêtera pas. Si l’on ose toucher un de nous, le branle commencera et tout sera bientôt fini. Nous ne sommes pas nobles, mais si l’on nous vexe, nous saurons nous soutenir ». Enfin, l’officier a été conduit au corps de garde, puis relâché. Mauvaise attitude des militaires. Ces propos m’ont paru remarquables, en les rapprochant de l’humeur plus sombre et plus mystérieuse qui, depuis quelques jours, perce parmi les militaires, comme s’il existait entre eux un système. Ils semblent, la plupart, avoir cessé de croire à la stabilité du gouvernement qu’ils accusent de marcher en opposition avec l’opinion de la majorité de la nation et de l’armée. Ils prédisent, même vaguement, des révolutions, sans en assigner ni l’époque, ni l’objet. »

(Georges Firmin-Didot, « Royauté ou Empire. La France en 1814 d’après les rapports inédits du comte Anglès », Maison Didot, 1897, pp.241-244).

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