« A son départ pour l’île d’Elbe, l’Empereur disposa de deux millions à lui appartenant, sur le Grand-Livre, en faveur de plusieurs généraux et officiers ; ceux de l’île d’Elbe y furent compris pour une somme de 170,000 francs. Louis XVIII s’empara plus tard de cette somme, dont nous n’avons pu jusqu’à ce jour obtenir le remboursement », écrit un fidèle de Napoléon, le lieutenant Etienne Laborde dans ses « Souvenirs ». On sait que le Roi ne respecta pas cette condition dictée par le Traité de Fontainebleau, du 11 avril 1814, dont voici le texte :
« Article I.
S.M. l’empereur Napoléon renonce pour lui, ses successeurs et descendants, ainsi que pour chacun des membres de sa famille, à tout droit de souveraineté et de domination, tant sur l’empire français et le royaume d’Italie, que sur tout autre pays.
Article II.
LL. MM. l’empereur Napoléon et l’impératrice Marie-Louise conserveront ces titres et qualités pour en jouir leur vie durant. La mère, les frères, sœurs, neveux et nièces de l’Empereur conserveront également, partout ou ils se trouveront, les titres de princes de sa famille.
Article III.
L’île d’Elbe, adoptée par S.M l’empereur Napoléon pour lieu de son séjour, formera, sa vie durant, une principauté séparée qui sera possédée par lui en toute souveraineté et propriété. Il sera donné en outre en toute propriété, à l’empereur Napoléon, un revenu annuel de 2,000,000 de francs, en rente sur le grand-livre de France, dont 1,000,000 sera réversible à l’impératrice.
Article IV.
Toutes les puissances s’engagent à employer leurs bons offices pour faire respecter par les États barbaresques le pavillon et le territoire de l’île d’Elbe, et pour que, dans ses rapports avec les Barbaresques, elle soit assimilée à la France.
Article V.
Les duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla seront donnés en toute propriété et souveraineté à S. M. l’impératrice Marie-Louise; ils passeront à son fils et à sa descendance en ligne directe. Le prince son fils prendra dès ce moment le titre de prince de Parme, Plaisance et Guastalla.
Article VI.
Il sera réservé dans les pays auxquels l’empereur Napoléon renonce, pour lui et sa famille, des domaines ou des rentes sur le grand-livre de France, produisant un revenu annuel net, et déduction faite de toutes charges, de 2,500,000 fr. Ces domaines ou rentes appartiendront en toute propriété, et pour en disposer comme bon leur semblera, aux princes et princesses de sa famille, et seront répartis entre eux, de manière à ce que le revenu de chacun soit dans la proportion suivante: A Madame Mère, 300,000 fr. ; au roi Joseph et à la reine 500,000 fr. ; au roi Louis, 200,000 fr. ; à la reine Hortense et à ses enfants, 400,000 fr. ; au roi Jérôme et à la reine, 500,000 fr. ; à la princesse Élisa, 300,000 fr. ; à la princesse Pauline, 500,000 fr. Les princes et princesses de la famille de l’empereur Napoléon retiendront, conserveront, en outre, tous les biens meubles et immeubles, de quelque nature que ce soit, qu’ils possèdent à titre de particuliers, et notamment les rentes dont ils jouissent également comme particuliers sur le grand-livre de France et le Monte-Napoleone de Milan.
Article VII.
Le traitement annuel de l’impératrice Joséphine sera réduit à 1,000,000 fr en domaines ou en inscriptions sur le grand-livre de France. Elle continuera de jouir, en toute propriété, de tous ses biens meubles et immeubles particuliers, et pourra en disposer conformément aux lois françaises.
Article VIII.
Il sera donné au prince Eugène, vice-roi d’Italie, un établissement convenable hors de France.
Article IX.
Les propriétés que S. M. l’empereur Napoléon possède en France, soit comme domaine extraordinaire, soit comme domaine privé, resteront à la Couronne. Sur les fonds placés par l’empereur Napoléon, soit sur le grand-livre, soit sur la banque de France, soit sur les actions des forêts, soit de toute autre manière, et dont Sa Majesté fait abandon à la couronne, il sera réservé un capital qui n’excédera pas 2,000,000 fr pour être employé en gratifications en faveur des personnes qui seront portées sur l’état que signera l’empereur Napoléon, et qui sera remis au gouvernement français.
Article X.
Tous les diamants de la Couronne resteront à la France.
Article XI.
L’empereur Napoléon fera retourner au Trésor et aux autres caisses publiques toutes les sommes et effets qui en auraient été déplacés par ses ordres, à l’exception de ce qui provient de la liste civile.
Article XII.
Les dettes de la maison de S. M. l’empereur Napoléon, telles qu’elles se trouvaient au jour de la signature du présent traité, seront immédiatement acquittées sur les arrérages dus par le trésor public à la liste civile, d’après les états qui seront signés par un commissaire nommé à cet effet.
Article XIII.
Les obligations du Monte-Napoleone de Milan envers tous ses créanciers, soit français, soit étrangers, seront exactement remplies, sans qu’il soit fait aucun changement à cet égard.
Article XIV.
On donnera tous les sauf-conduits nécessaires pour le libre voyage de S.M. l’empereur Napoléon, de l’impératrice, des princes et princesses, et de toutes les personnes de leur suite qui voudront les accompagner où s’établir hors de France, ainsi que pour le passage de tous les équipages, chevaux et effets qui leur appartiennent. Les puissances alliées donneront en conséquence des officiers et quelques hommes d’escorte.
Article XV.
La Garde Impériale française fournira un détachement de douze à quinze cents hommes pour servir d’escorte jusqu’à Saint-Tropez, lieu d’embarquement.
Article XVI.
Il sera fourni une corvette et les bâtiments de transport nécessaires pour conduire au lieu de sa destination S. M. l’empereur Napoléon, ainsi que sa maison. La corvette appartiendra en toute propriété à S.M. l’Empereur.
Article XVII.
S.M. l’Empereur Napoléon pourra emmener avec lui, et conserver pour sa garde, quatre cents hommes de bonne volonté, tant officiers que sous-officiers et soldats.
Article XVIII.
Tous les français qui auront servi S.M. l’empereur Napoléon et sa famille seront tenus, s’ils ne veulent perdre leur qualité de français, de rentrer en France dans le terme de trois ans, à moins qu’ils ne soient compris dans les exceptions que le gouvernement français se réserve d’accorder après l’expiration de ce terme.
Article XIX.
Les troupes polonaises de toute arme qui sont au service de la France auront la liberté de retourner chez elles, en conservant armes et bagages, comme un témoignage de leurs services honorables ; les officiers, sous-officiers et soldats conserveront les décorations qui leur ont été accordées et les pensions affectées à ces décorations.
Article XX.
Les hautes puissances alliées garantiront l’exécution de tous les articles du présent traité ; elles s’engagent à obtenir qu’ils soient adoptés et garantis par la France.
Article XXI.
Le présent acte sera ratifié, et les ratifications en seront échangées à Paris dans dix jours, ou plus tôt si faire se peut.
Fait à Paris, le 14 avril 1814,
Signé: Caulaincourt duc de Vicence ; e maréchal duc de Tarente, Macdonald ; le maréchal duc d’Elchingen, Ney ; le prince de Metternich.
Déclaration en forme d’accession au nom de Louis XVIII.
Je soussigné, ministre secrétaire d’État au département des affaires étrangères, ayant rendu compte au roi de la demande que Leurs Excellences Messieurs les plénipotentiaires des cours alliées ont reçu de leurs souverains l’ordre de faire relativement au traité du 11 avril, auquel le gouvernement provisoire a accédé, il a plu à sa Majesté de l’autoriser, de déclarer en son nom que les clauses du traité à la charge de la France, seront fidèlement exécutées. Il a, en conséquence, l’honneur de le déclarer par la présente à Leurs Excellences.
Paris, le 31 mai 1814.
Signé : Le prince de Bénévent. [Talleyrand]
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Henry Houssaye dans son « 1815 » écrit fort justement là propos de l’article III du Traité de Fontainebleau que « Le cabinet des Tuileries ne paraissait nullement disposé à tenir cet engagement. Dans le courant de février [1815], le tsar et lors Castlereagh firent même à ce sujet de sérieuses représentations au prince de Talleyrand. Celui-ci répondit avec son imperturbable sérénité, qu’absent de Paris depuis cinq mois, il ignorait ce qu’il s’y passait et que d’ailleurs, vu l’agitation de l’Italie, « il pourrait y avoir danger à fournir des moyens d’intrigue aux personnes disposées à en former ». Cependant, les revenus de l’île d’Elbe étant insuffisants, Napoléon ne pouvait se passer de la rente qui lui était assurée par le traité du 11 avril [celui de Fontainebleau]. Jusqu’ici, il avait pourvu aux dépenses avec l’argent sauvé des griffes du gouvernement provisoire. Mais ce petit trésor-reste du fameux trésor des Tuileries économisé sur la liste civile et dont les huit dixièmes avaient été employés à des dépenses de guerre- n’était pas inépuisable. Des 3, 800,000 francs qu’avait l’Empereur quand il s’embarqua pour la France, et bien avant le mois de février, il avait prévu que dans un temps donné son trésor serait vide. » (Henry Houssaye, « 1815. La première Restauration…», pp.166-167). A ce sujet, faut lire le témoignage de Guillaume Peyrusse, qui fut chargé par Napoléon d’encaisser toutes les recettes et de payer toutes les dépenses du 11 avril 1814 au 20 mars 1815.
C.B.