Le signataire de cette lettre, l’auditeur Lelorgne d’Ideville, auditeur de première classe au Conseil d’Etat attaché au Ministère des Affaires étrangères où il était chargé spécialement de la statistique extérieure, avait mission de tenir l’Empereur au courant des forces de l’ennemi et de leur répartition. Il entendait et parlait le russe. Aussi l’Empereur voulait qu’il fût toujours à cheval derrière lui, et il l’avait attaché, comme secrétaire interprète, à son cabinet ; c’était Lelorgne qui interrogeait les gens du pays et tirait d’eux les renseignements. C’est à lui qu’on remettait les lettres russes interceptées. Dans sa missive à Maret, duc de Bassano, il retrace ce qu’a fait l’Empereur depuis le 4 novembre 1812 jusqu’au 9 novembre 1812.
Arthur CHUQUET
Smolensk, 11 novembre 1812.
Depuis Slavkovo, je n’ai point eu l’honneur de vous écrire. L’Empereur y a passé la journée du 4. Il en est parti le 5, à 5 heures du matin, pour aller à Dorogobouje. Le 6, Sa Majesté est allée à Mikhaïlovka où elle a passé la nuit. Le 7, l’Empereur a été coucher dans un petit château sur les bords du Dniepr près de la poste de Pnévo. Sa Majesté est montée en voiture pour la première fois depuis Moscou. La neige que nous avons eue ce jour-là et le grand vent rendaient le cheval fort incommode. Le 8 novembre, nous avons couché à la poste de Bérédikino, vilain petit trou où nous étions entassés les uns sur les autres. Le 9, l’Empereur est arrivé à Smolensk à une heure après-midi. On y est resté hier, on y est encore aujourd’hui et peut-être en partira-t-on demain. Depuis le 7, notre marche a été difficile à cause du mauvais temps. Il tombait beaucoup de neige, et, le froid, accompagné du vent, a été continuellement de quatre à huit degrés ; Les chevaux sont exténués. On a fait ce qu’il fallait faire pour sauver l’artillerie. Quelques bagages restent en arrière. C’est de peu d’importance pour le moment où nous nous trouvons. Les hommes, les chevaux et les canons, voilà ce qu’il fallait sauver dans la situation où nous étions. On y a réussi, et l’ennemi, s’il est juste, doit être surpris de la rapidité et du bon ordre de notre mouvement. Je vous en dirai les détails quand j’aurai le bonheur de pouvoir causer avec vous chez vous.
Le temps se maintient au froid, mais il n’y a pas aujourd’hui plus de deux degrés.
Le général Baraguey d’Hilliers s’est trouvé fort à propos sur le chemin d’Elnia pour arrêter la marche d’un corps détaché sous les ordres du comte cosaque Orlov-Denissov qui commande douze régiments du Don, deux de cavalerie régulière et peut-être une division d’infanterie.