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Fusillé pour l’exemple…

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« Ayant quitté la route de Minsk, nous nous portâmes, à marches forcées, en prenant toutes les précautions possibles usitées la veille d’une grande bataille, sur le camp retranché de Drissa. ; mais nous ne trouvâmes évacué. Le jour où nous atteignîmes ce camp, nos avions eu, comme les jours précédents, une affaire d’avant-garde assez générale, chaude et longue. En avant du terrain de combat se trouvait une riche chapelle qui dépendait d’une grande abbaye située à deux lieues plus loin.Fusillé pour l'exemple... dans TEMOIGNAGES wiazma-20-août-1812-300x215 Les Russes avaient établi sur le mamelon couronné par cette chapelle une batterie qui fut enlevée après une résistance acharnée de nos adversaires. Au cours de l’action, cette chapelle fut saccagée. Dès que nous fûmes maîtres de la position, et conformément aux ordres sévères donnés par l’Empereur à ce sujet, des compagnies de sauvegarde avaient été placées à cet édifice. Ceux qui avaient commis ce sacrilège impie s’adressèrent, pour écouler les objets volés, à un chasseur de mon régiment qu’on appelait le brocanteur, et même le juif, et qui, d’habitude, achetait et vendait. Il y avait de ces brocanteurs, soi-disant juifs, dans tous les régiments. Ce chasseur avait été mon camarade de lit, il était bon, serviable, aimé et estimé de tous, n’ayant rien du caractère sordide et rapace du juif. Le malheureux eut la faiblesse d’acheter à ces pillards deux vases sacrés. Le maréchal [Murat], ayant reçu des plaintes, donna l’ordre de faire des recherches dans mon régiment, le seul qui eut donné dans cette affaire. Les quatre bataillons sont formés aussitôt en  bataille, à rangs ouverts, les armes à terre, ainsi que les sacs, ouverts. Dans les compagnies, chacun des trois officiers inspecte un rang. Mon pauvre camarade est ainsi découvert comme étant, tout au moins, le recéleur. On fait remettre sac au dos, relever les armes, serrer les rangs, et les bataillons sont formés en carré ; au centre s’assemble le conseil de guerre. L’infortuné chasseur y est amené, jugé, condamné à mort, et fusillé par les hommes de sa compagnie. Le tout n’avait pas duré une heure. Nous eûmes à peine le temps, avant de nous remettre en route, de creuser une fosse au pied d’un gros chêne où le vieux soldat d’Iéna, d’Eylau, de Friedland, de Wagram, qui tout à l’heure encore, se battait vaillamment, reposa [de] son dernier sommeil. J’eus longtemps dans les oreilles les cris de désespoir de cette victime du devoir militaire, et j’eus la pénible tâche, sur la demande qu’il m’en avait faite avant de mourir, d’informer sa famille à Toulouse de sa triste fin. »

(Capitaine Vincent BERTRAND, « Mémoires. Grande-Armée, 1805-1815. Recueillis et publiés par le colonel Chaland de La Guillanche, son petit-fils [la première fois en 1909]. Réédition établie et complétée par Christophe Bourachot », A la Librairie des Deux Empires, 1998, p.112-116).
L’auteur était alors sergent au 7ème régiment d’infanterie légère.

 

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