Les lettres ci-dessous ont été adressées par la princesse Pauline à Planat (qu’elle gratifie d’une particule) nous dépeignent une situation totalement délirante. Lorsque la première de ces lettres est écrite, l’Empereur est déjà mort depuis plusieurs semaines. Pauline, qui envisage de partir à Sainte-Hélène, n’est pas encore informée de la terrible nouvelle qui vient d’arriver en Europe.[1]
Villa Paolina (près Rome), 11 juillet 1821.
Monsieur de Planat,
Je suis désespérée de la triste position de l’Empereur. Je vous prie de lui dire que je suis dévouée à lui, que je le lui prouve avec le plus grand bonheur; car je suis mieux de santé, mais pas forte; mais je mourrais ici de chagrin et d’inquiétude de le savoir si mal et pas une personne de sa famille avec lui. J’ai eu bien à souffrir ici depuis deux ans, car mon oncle[1], maman[2] et Colonna[3] se laissent guider par une femme intrigante qui est allemande, espionne de la cour d’Autriche, qui dit voir la Madone[4] qui lui apparaît, enfin qui lui a dit que l’Empereur n’était plus là ! Mille extravagances incroyables! Le cardinal en est presque fou, il dit ouvertement que l’Empereur n’est plus à Sainte-Hélène, qu’il a eu des révélations qui lui ont appris où il est ! Nous avons depuis deux ans fait tout, Louis [5] et moi, pour détruire les impressions de cette sorcière, mais tout a été inutile. Mon oncle nous a caché les nouvelles et les lettres qu’il recevait de Sainte-Hélène, disant que ce silence devait nous convaincre assez ! Maman est dévote et donne beaucoup à cette femme qui est liguée avec son confesseur, qui lui-même est le bras droit d’autres prêtres encore ! Tout cela est une intrigue affreuse, et Colonna soutient tout cela; il est à l’église du matin jusqu’au soir. Il faut que l’Empereur soit instruit de tout. On voulait me cacher l’arrivée de l’abbé Buonavita. Il était dans a chambre de maman quand je suis allé chez elle pour prendre congé, car je partais pour Frascati, mais l’on me refusait sa porte. Heureusement j’ai appris par le portier que l’abbé était là. Je suis montée; maman ne me disait rien. J’ai donc été obligée de lui dire que je le savais, que je voulais voir l’abbé et savoir des nouvelles de l’Empereur. J’aime l’Empereur plus que tout au monde. Je suis assez heureuse en ce moment-ci pour lui en donner la plus forte preuve; car j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir » pour le suivre. » Maman et mon oncle ne croient pas tout à fait que l’abbé Buonavita ait laissé l’Empereur à Sainte-Hélène, car ils me disaient : « Je n’en crois rien; l’Empereur n’est plus là, je le sais » Enfin, mes peines sont affreuses. Outre l’extrême chagrin que je ressens des souffrances de l’Empereur, j’ai encore le chagrin de voir maman et le cardinal ne vouloir rien faire pour lui en exécutant ses ordres, disant que tout est imposture ! Je me suis hier jetée aux pieds de maman; je lui ai expliqué toute cette intrigue et je l’ai suppliée, au nom de l’honneur, de renvoyer cette femme et ce prêtre; mais elle s’est emportée contre moi, en disant qu’elle était bien la maîtresse de voir qui elle voulait. Elle est soutenue par mon oncle et Colonna; enfin j’en suis malade. J’ai fait tout par moi-même pour qu’on connaisse la position de l’Empereur. Voilà, M. de Planat, quatre nuits que je passe à écrire pour envoyer partout des copies des lettres et faire connaître la triste position de l’Empereur. Je pars pour Frascati pour me remettre et attendre la réponse de Londres pour partir pour Sainte-Hélène j’espère que Dieu me donnera la force d’y arriver, de voir l’Empereur, de partager ses peines. J’ai avec moi une dame d’Écouen qui m’aime beaucoup, ainsi que l’Empereur, et qui m’aide à faire tout pour donner une juste idée de la position de l’Empereur. L’on n’a pas bien traité l’abbé Buonavita, car maman lui a demandé si véritablement il avait vu l’Empereur. Ce pauvre homme si affectionné a été bien peiné. Je le mène avec moi à Frascati, car l’on ne lui donnera pas un sou. Le cardinal dit que l’Empereur n’a rien écrit pour lui; lui dit au contraire que Bertrand lui a dit qu’il le recommandait au Pape ; mais que si celui-ci ne faisait rien pour lui, on lui donnerait une pension de 3,000 francs par an. Mais mon oncle dit que Bertrand ne lui a rien écrit.
Excusez mon griffonnage, mais ma main est fatiguée de tant écrire; je ne veux pas que cette poste parte sans vous apporter la relation. Je fais des veux pour votre heureux voyage. Je vous reverrai à Sainte-Hélène, si le gouvernement anglais a l’horreur de refuser le changement de climat.»
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Villa Paolina, 15 juillet 1821.
Monsieur de Planat,
J’ai encore mille choses à vous dire, mais comme je me trouve si souffrante, si accablée depuis ces tristes nouvelles, je ne puis que dicter. Je vous envoie une lettre pour le général de Montholon. Je n’écris pas au comte Bertrand ni à Madame pour ne pas grossir le paquet. Vous communiquerez les détails que je vous ai écrits. Il est important que l’Empereur connaisse l’exacte vérité des choses. Ce que je vous ai écrit est vrai. J’insiste à vous le dire parce que tout est si extravagant, qu’à moins de l’entendre de ses deux oreilles on ne pourrait se faire une juste idée de cet aveuglement. Il y a un complot composé de prêtres et de femmes qui passent pour faire des révélations. La plus célèbre est allemande, pensionnée, sûrement espion, qui a l’esprit d’intrigue. Elle s’est tellement emparée de Madame et du cardinal que tout ce qu’elle dit passe comme article de foi, révélé par la Sainte-Vierge qui lui apparaît. Il en est résulté que toutes les lettres que Madame et le cardinal ont pu recevoir depuis deux ans ont été regardées comme fausses; signature fausse, lettres inventées par le gouvernement anglais pour faire croire que l’Empereur est toujours à Sainte-Hélène tandis que le cardinal et Madame disent savoir positivement que Sa Majesté a été enlevée par les anges et transportée clans un pays où sa santé est très bonne, et qu’ils en reçoivent des nouvelles. Cette sorcière se sert de tous les événements politiques pour arriver à son but. Toute la maison de Madame est gagnée, Colonna à la tête. Madame et le cardinal ont voulu m’entraîner dans leur croyance ainsi que mon frère Louis; mais voyant que nous cherchions tous deux les moyens de les tirer de leur aveuglement et que nous finissions par nous moquer de leur crédulité, je dois taire les scènes, les querelles et le refroidissement que leur conduite a naturellement amenés entre nous. Ce sont de vrais chagrins et je les sens plus fortement puisque cette influence a été si nuisible à l’Empereur et peut le devenir encore davantage en cachant aux membres de sa famille son triste état de santé… »
[1] Le cardinal Fesch, oncle de Napoléon.
[2] La mère de l’Empereur.
[3] Chevalier d’honneur de Madame Mère.
[4] La Vierge Marie.
[5] Louis, qui fut roi de Hollande. Il se maria avec Hortense, fille de Joséphine. De cette union naquit notamment le futur Napoléon III.
[1] La nouvelle de la mort de Napoléon parvient à Louis XVII, à Paris le 5 juillet 1821 au soir. Elle n’est diffusée que le lendemain, 6 juillet 1821, au public, au travers des journaux. Et en Italie ?