Bourgoing, capitaine au 5ème régiment de tirailleurs et aide-de-camp de Mortier, vient annoncer à Napoléon, le 5 avril 1814, à 6 heures et demie du matin, la défection du duc de Raguse.
A. Chuquet
« Napoléon : Qu’y-a-t-il de nouveau ?
Bourgoing. Sire, je suis chargé d’un bien triste message.
Napoléon. Au fait ! Point de préambule !
Bourgoing. Le 6ème corps vient de quitter la cause de Votre Majesté, tout ce corps s’est mis en marche vers Paris.
Napoléon. C’est une nouvelle affreuse que vous me donnez là, jeune homme ! En êtes-vous bien sûr ?
Bourgoing. Sire, j’étais moi-même, cette nuit, à Essonnes ; j’ai vu de mes yeux les troupes prendre les armes et marcher dans la direction des lignes ennemies.
Napoléon. Les troupes savaient-elles où on les conduisait ?
Bourgoing. Non, sans doute, suivant leur coutume, elles ont obéi en silence.
Napoléon. Ah ! Il faut tromper mes soldats pour me les enlever ?… Avez-vous vu le duc de Raguse au moment de la marche des troupes,
Bourgoing. Non, Sire, il n’était pas à son quartier-général, lorsque les troupes ont fait leur mouvement. Je ne lai vu qu’hier soir quand je suis arrivé à Essonnes avec le duc de Trévise. Ce sont les généraux qui m’ont fait connaître le but de leur marche. J’ai dû les quitter brusquement, craignant qu’ils ne veuillent m’empêcher de rejoindre mon maréchal.
Napoléon. La cavalerie a suivi ce mouvement ?
Bourgoin. Oui, sire. Infanterie, cavalerie, artillerie, tout s’est mis en marche dans la même direction.
Berthier. Il paraît qu’ils sont partis en masse.
Napoléon. En masse ! En masse !… Que fait Mortier ?
Bourgoing. Sire, il m’envoie vers vous pour assurer Votre Majesté de son dévouement absolu. Il attend vos ordres pour marcher. Nous sommes, a-t-il dit, dévoués à l’Empereur à la vie à la mort.
Napoléon. Ah ! Je le reconnais bien là, et je sais que je dois compter sur lui. Et ses troupes ? Et ma jeune garde ? Elle pense aussi à m’abandonner ?
Bourgoing. Sire, la jeune garde et toute la jeunesse de France sont prêtes à mourir pour vous. Napoléon. (Touchant l’épaule de Bourgoing en passant la main sous les franges de l’épaulette). Ah ! Oui, les jeunes gens ! Ce ne sont pas ceux-là qui m’abandonneront !… Allez, mon ami. Dites à votre maréchal que je compte sur lui, que je le remercie de sa fidélité et que j’ai toute confiance en ses troupes. Qu’il se tienne prêt ; qu’il se garde… Au reste, dies-lui que nous ne nous battrons plus. On veut me perdre par des intrigues. «
(Arthur CHUQUET, « L’Année 1814… », Fontemoing et Cie, Editeurs, 1914, pp.180-181).