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En mer, en direction des côtes anglaises (1815)…

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Bellerophon

« Le Bellérophon prit la mer le 16 juillet, en route pour l’Angleterre. Le vent était calme et le vieux vaisseau avançait lentement. Qu’importe ! Il tenait, désormais, l’ennemi le plus redouté, et Maitland ne devait sans doute point encore être revenu de cette fortune si imprévue. Un auteur anglais, dont nous aurons à parler bientôt, a dit plus tard que, lorsque Maitland reçut l’ordre de conduire le Bellérophon devant les passes de Rochefort, il ne se doutait guère qu’il verrait l’empereur se remettre volontairement entre ses mains. Pour que cet événement se produisît, il avait fallu le concours de circonstances auxquelles on a peine à croire ; mais il faut rendre au capitaine anglais cette justice qu’il a admirablement servi la politique judaïque de son gouvernement. Dans le plaidoyer qu’il a publié, le capitaine Maitland s’est efforcé de donner à ses actes la tournure la plus honorable. Il est difficile de le croire, cependant, on a déjà perdu la terre de vue. Même situation, le 18. Le mardi, 19, le vent fraîchit mais sans être favorable ; on ne file que neuf nœuds, au plus près. On a croisé en mer le Swiftsure, allant, en vertu d’ordres antérieurs, renforcer la croisière, et le navire a été expédié si précipitamment, qu’il n’est qu’à moitié peint. Depuis le départ de l’île d’Aix, Napoléon semble se familiariser avec les habitudes de la mer ; d’un autre côté, les anglais changent d’attitude à son égard. Depuis vingt ans on s’était efforcé d’exciter chez ces gens-là, par des contes absurdes, les sentiments d’une haine poussée jusqu’à l’horreur ; on avait su éveiller dans leur esprit, quand il s’agissait de l’empereur, l’idée d’un monstre des temps fabuleux, et pour se convaincre de ce fait il suffit de lire le « journal » qu’a publié en Angleterre le médecin du Bellérophon. Le bon docteur raconte ses impressions comme ferait un naturaliste décrivant les mœurs d’un animal nouveau, étrange, extraordinaire. Mais à mesure que les officiers et l’équipage du vaisseau anglais se rapprochent de Napoléon, on les voit s’apprivoiser bien vile, se faire à ses habitudes et à celles de sa suite. Quand l’empereur paraît sur le pont, chacun se découvre ; on ne l’aborde que chapeau bas, et ceux qui lui parlent ne manquent jamais de se servir des expressions de « Sire » ou « Votre Majesté ». La table du commandant était la table de l’empereur; il n’y paraissait que ceux qu’il avait invités et, en toute occasion, nul ne négligeait de lui manifester égards et respect, dans les paroles ou les actes. Cette lente navigation laissait naturellement beaucoup de loisirs aux passagers : l’empereur les utilisa en dictant à Las Cases quelques notes sur la situation qu’il venait de traverser, à Rochefort et en rade de l’île d’Aix. Soit à cause de l’influence de son entourage, soit que l’affaiblissement persistant du ressort de la volonté eût produit chez lui un découragement voisin d’un complet abandon, Napoléon affectait une étrange confiance dans la bonne foi britannique. Sa lettre au prince-régent témoigne hautement de ce sentiment, que l’attitude de Maitland, lorsque cette lettre lui fut officiellement communiquée, n’avait pu que confirmer. Le dimanche 23 juillet, au lever du jour, on aperçut l’île d’Ouessant, qu’on avait dépassée pendant la nuit; l’on rencontra quelques frégates courant au sud et un grand mouvement de bâtiments de guerre dans toutes les directions. Si l’empereur s’était décidé à tenter la sortie de vive force, au moment où Ponée lui en avait fait la proposition, ces renforts seraient arrivés trop tard, et ce n’est pas le Bellérophon qui eût pu s’opposer à l’entreprise, étant mauvais marcheur, vieux vaisseau en armement depuis vingt-deux ans. Maitland, qui ne se faisait pas d’illusions sur ce point et qui s’était imaginé qu’on n’avait entamé des négociations que pour endormir sa vigilance, avait pris les dispositions suivantes, en prévision d’un coup de force : Se porter sur les frégates, accabler l’une de tout son feu, l’aborder et jeter à son bord 100 hommes déterminés; courir ensuite sur les traces de l’autre, tâcher de la joindre et de la prendre. Ce plan avait peu de chances de réussir, car Maitland se serait trouvé aux prises avec deux frégates neuves et bonnes voilières et il aurait pu avoir sur les bras, en même temps, le brick l’Épervier et, peut-être, la corvette de Baudin. A la tombée de la nuit, on aperçut les côtes d’Angleterre, et le lendemain, vers huit heures du matin, on jetait l’ancre dans la rade de Torbay. Depuis le point du jour l’empereur était sur la dunette. Aussitôt le vaisseau au mouillage, Maitland expédia un courrier à l’amiral Keith, à Plymouth. Dès que l’on connut, à Torbay, la présence de l’empereur à bord du Bellérophon, la rade se couvrit de barques chargées de curieux; un particulier envoya à l’empereur une corbeille de fruits, et cette affluence se continua toute la journée du mardi, 25. On apprit à ce moment que, depuis plusieurs jours, le Bellérophon était attendu là et qu’on savait que l’empereur serait à son bord. Dans la nuit arriva l’ordre de l’amiral Keith de conduire le vaisseau et son prisonnier à Plymouth, et cet amiral, dont on va lire les assurances favorables, recommandait au capitaine Maitland de redoubler de précautions pour « empêcher toute communication avec la terre ». On a osé dire, après cela, que les officiers anglais ne se doutaient pas de ce qui allait arriver et que l’incertitude était aussi grande chez eux qu’en France. Pour se rendre de Torbay à Plymouth, le Bellérophon dut louvoyer, à cause du vent contraire. Comme ses bordées l’amenaient souvent à ranger la terre, l’empereur fit cette remarque : « Il faut que les officiers de la marine française n’aient pas connu la situation de ces côtes-ci, lorsque dans la construction de la flottille de Boulogne ils ne me demandaient que des bateaux à fond plat. » Le Bellérophon avait appareillé le 26, au point du jour, pour se rendre à Plymouth; il y arriva vers quatre heures après midi, et au même moment on vit monter à bord le général Gourgaud, qui avait quitté l’île d’Aix dans la nuit du 14 au 15. Bien accueilli à bord du Bellérophon, comme nous l’avons raconté, il avait pu partir immédiatement sur la Slany, porteur de la lettre de Napoléon au prince-régent d’Angleterre et avait rallié l’amiral Hotham, qu’il rencontra à la baie de Quiberon. Celui-ci retint la Slany jusqu’à ce qu’il eût expédié un autre navire qui portât le premier la nouvelle à l’Amirauté. Quand Gourgaud arriva à Portsmouth, il fut retenu à bord, en dépit de ses protestations, pendant que le capitaine Sertorius se rendait à terre sans le prévenir, oubliant ainsi ses promesses ; et on ne tint aucun compte de ses réclamations, quelque violentes qu’elles fussent. A l’arrivée du Bellérophon, Gourgaud, prévenu à l’avance, demanda et obtint de se rendre auprès de l’Empereur. »

 (J. SILVESTRE, « De Waterloo à Sainte-Hélène… », Félix Alcan, Editeur, 1904, pp.265-270)

 

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