L’auteur de ce témoignage, Charles-Luc-Louis-Marie Simon est né à Blois le 18 octobre 1785. Il devint maréchal de camp après la Révolution de Juillet. Décoré sur le champ de bataille à Talavera de la Reyna (Espagne) en 1810, de la croix de chevalier de la légion d’honneur, il était devenu commandeur dans cet ordre lorsqu’il mourut à Pau, le 23 mars 1866. Charles Simon avait 80 ans.
Nommé chef de bataillon par décret impérial le 14 juin 1813, je dus me rendre à Wesel pour y prendre le commandement du Premier Bataillon du 37ème de ligne, en remplacement de Monsieur Dhar, passé major. Bien que je fusse parti de Paris le 16 du même mois et en poste, je trouvai ce bataillon parti pour rejoindre la division du général Rochambeau dans les environs de Leipzig. M. le général Merle, gouverneur de la place si importante de Weisel, dont j’avais l’honneur d’être particulièrement connu pour avoir servi sous ses ordres dans la campagne de 1806 et 1807 en Autriche, me fit part de l’erreur commise à mon égard par les Bureaux dela Guerre, puisque M. Beauregard avait reçu plus de quinze jours avant moi l’ordre de remplacer M. Dhar. Bien que je lui témoignasse toute la peine que je ressentais d’un pareil contretemps, il me dit que pour son compte, il en était enchanté puisque je me trouvais, en attendant de nouveaux ordres du Ministre, auquel il allait écrire, tout à fait à sa disposition et que je n’aurais pas lieu de m’en plaindre, qu’il avait des vues toutes particulières sur moi., Effectivement, il me fit appeler le lendemain matin chez lui, pour me dire que bien je fusse, et pour l’âge et pour le grade, le plus jeune des officiers supérieurs de la garnison, il ne m’en confiait pas moins l’organisation et le commandement d’un régiment provisoire, composé de tous les hommes isolés, mis jusqu’à ce jour en subsistance dans les différents corps d’infanterie de la place. Ils étaient du nombre de deux mille environ et appartenant pour la plupart aux 11ème et 13ème corps d’armée. Cette marque de haute confiance excita mon émulation au dernier point. Je savais que le général y attachait un grand prix et qu’il destinait mon futur régiment à un service spécial de sorties fréquentes, afin d’observer les mouvements de l’ennemi.
Après huit jours d’un travail incessant, je pus présenter à l’inspection du général trois beaux bataillons commandés chacun par un capitaine expérimenté. C’est au moment où je croyais pouvoir recueillir le fruit de ce que j’avais fait, que le corps d’armée du maréchal Macdonald entra en Hollande et réclama du général Merle tous les hommes qui lui appartenaient. Il fallut bien obtempérer à cet ordre et je me trouvai de nouveau sans commandement. Le duc de Feltre [le général Clarke], ministre de la Guerre qui, depuis la mission importante qu’il m’avait confiée en février 1813 (et qui me valut en récompense le grade de chef de bataillon) semblait avoir une prédilection toute particulière en ma faveur, m’expédia l’ordre de la rejoindre immédiatement pour être à sa disposition. Ce que je ne pus exécuter toutefois que plus de trois mois après car j’étais tombé assez sérieusement malade par suite des fatigues de mon organisation régimentaire provisoire, comme aussi du chagrin de l’avoir vue échouer aussi promptement. Je ne pus me mettre en route qu’après avoir fait usage des bains d’Aix-la-Chapelle et j’arrivai encore très souffrant à Paris en décembre 1813. Pendant ce temps, ma mère, dans sa tendre sollicitude sur ma santé et sans m’en avoir parlé ou écrit, s’était entendue avec M. de Villemanzy notre parent, sénateur et ancien inspecteur en chef aux revues qui, lié, d’une étroite amitié avec le même duc de Feltre, s’était arrangé pour que je fusse nommé sous-inspecteur aux revues. Le Ministre, qui m’avait fait demander, crut me faire un bien grand plaisir en m’annonçant cette nouvelle qui eut lieu de me surprendre étrangement. Je le remerciai de sa sollicitude et priai de donner cet emploi si recherché à un autre, car je croyais que, dans l’état actuel des choses en France, au moment où la coalition européenne venait de franchir les frontière des Alpes suisses, l’Empereur aurait plus besoin de mon épée que de ma plume. […] Je reçus le 31 janvier 1814 et vers midi mes lettres de service du Ministère del a Guerre. Comme j’avais pu terminer toutes mes affaires à quatre heures de l’après-midi, je montai à cheval, après avoir embrassé bien tendrement ma mère, et fus coucher à Charenton. Le premier février, malgré ma mauvaise santé, mes douleurs de poitrine qui avaient nécessité l’établissement d’un deuxième cautère et le froid rigoureux qui régnait alors, je n’en arrivai pas moins à Nangis à la chute du jour. Le propriétaire du château où je logeai, ainsi que sa famille, me reçut avec une urbanité toute particulière et m’invita à dîner. A peine étais-je assis à sa table, soit effet de la fatigue ou la transition subite d’un air chaud concentré, je fus pris d’une sueur abondante qui me ruisselait sur la figure et sur toute l’habitude [sic] du corps. Je tombai à la renverse sur le parquet, et l’on fut obligé de me porter dans le lit qui m’était destiné. Après être revenu de cette syncope, j’ordonnai à mon domestique sans ne informer les maîtres de la maison, qui n’auraient pas manqué de s’y opposer dans crainte d’un plus grand mal, de me préparer une bouteille de vin chaud sucré, que j’avalai presque entièrement. Ce remède à la hussarde me réussit à merveille et, lorsqu’au point du jour mon excellent hôte vint pour d’informer de ma santé et me proposer son cabriolet pour me ramener à Paris, je lui dis que j’espérai bien arriver le même jour à Troyes Malgré ses insistances et ses bonnes raisons pour m’en dissuader certain qu’il était, disait-il, que je ne pourrai jamais faire campagne, et je ne m’en acheminai pas moins vers le quartier-général impérial qui y était installé depuis l’affaire de Brienne. Je n’arrivai que fort à Troyes le deux février, mais le lendemain à la pointe du jour, après m’être fait indiquer la route de Saint-Parres-aux-Tertres, où le corps des réserves de Paris était placé, j’enfourchai ma monture, accompagné de mon domestique : à une demi-lieue de là, sur la droite de la route qui conduit à Vandeuvre, j’aperçus un parc d’artillerie et le général Armand de Digeon que je saluai. Une demi-heure après, je distinguai un groupe d’officiers supérieurs à cheval ; comme je le présumais que le général Gérard pouvait en faire partie et que je ne l’avais jamais vu, je demandai à mon domestique parisien qui le connaissait pour l’avoir conduit plusieurs fois de me l’indiquer. « Monsieur, dit-il, c’est celui qui a le carrick gris. » Une minute après. Je remettais ma lettre de service au général qui en prit connaissance. Sa première réception ne fut pas très flatteuse pour moi : « Je voudrais bien savoir pourquoi Monsieur le Ministre de la Guerre m’envoie des officier d’état-major que je n’ai pas demandé ? Il sait cependant les choix que j’ai faits.
- Mon Général, lui répondit-je aussitôt, il a fallu pour vaincre ma répugnance à renter dans l’État-major toute la célébrité que s’est acquise le comte Gérard dans nos dernières campagnes, et si je me suis rendu à l’insistance d’un de nos mais communs, M. Denniée, qui m’a vu servir en Espagne, c’est qu’il prétend que vous ne serez pas fâché de l’initiative qu’il a prise en m’envoyant servir sous vos ordres directs. Si je n’avais pas été aussi pressé de vous rejoindre pour venir prendre ma part de la nouvelle gloire qui vous attend, je vous eusse apporté une lettre explicative de sa part, mais vous la recevrez sans doute plus tard. »
Cette réponse plut sans doute au comte Gérard, qui, toujours à cheval ainsi que moi, se mit à me toiser et me dit d’un air tout à fait gracieux : « Monsieur Simon, vous avez dû voir un parc d’artillerie à une demi-lieue d’ici. » « Oui, mon Général. » « Eh bien, rendez-vous de suite auprès du général Digeon, dites-lui de mettre en mouvement une de ses batteries que vous me conduirez vous-même sur la hauteur qui domine les ponts retranchés de La Guillotière que j’ai ordre de reprendre. Cela suffit. » Je tournai bride aussitôt et d’un temps de galop je fus auprès du général Digeon qui n’était pas fâché de me revoir. La batterie en route, comme mes deux lieues qui la séparaient des ponts retranchés de La Guillotière étaient directes, je pris de l’avance et rejoignis le comte Gérard pour lui rendre compte de l’exécution de ses ordres. Je le trouvai occupé à prendre ses dispositions pour l’attaque successive et simultanée des ponts retranchés qui existent de la chaussée, qui, de La Guillotière, conduit à Lusigny. A cet effet, un bataillon détaché de la brigade Jarry, protégé par la batterie d’artillerie que j’avais été chercher était tout disposé à agir. La compagnie de voltigeurs de ce bataillon réparti en tirailleurs sur les deux bermes de la longue chaussée devait, avec 40 hommes fusil en bandoulière, se porter au pas de course sur les abattis du premier point, et en rendre le passage praticable au reste du bataillon qui suivait. L’artillerie placée sur un plateau dominant, et par un feu nourri contre l’ennemi, devait seconder en tout point l’attaque ordonnée.
Monsieur le général Gérard, après m’avoir fait remarquer le terrain sur lequel nous devions agir et la position de l’ennemi, me dit de mettre pied à terre et de suivre le mouvement du bataillon, je me hâtai de prendre place en tête des voltigeurs et, le signal donnée, nous arrivâmes sur le premier retranchement d’abattis sur nous déblayâmes en un clin d’œil, secondés comme nous l’étions par le reste du bataillon dont un feu de deux rangs soutenu et les boulets de notre artillerie qui portaient en plein dans les masses de l’ennemi nous mit à même de nous rendre maîtres de tous les autres ponts retranchés et prendre position en moins d’une heure au village de Lusigny. Ce petit début de campagne, qui n’était pas sans importance et auquel je m’associai avec élan et bonheur, ma valut un compliment flatteur du général en chef. Les ordres donnés au général Jarry, pour ce qui lui restait à faire, nous revînmes au quartier-général du compte Gérard à Saint-Parres-aux-Tertres, chemin faisant je renouvelai une quasi-connaissance avec les colonels, ou adjudants-commandants Saint-Rémy et Dufay, le premier cousin germain du comte Gérard, remplissait près de lui les fonctions de chef d’état-major général, le second était chef d’état-major de la division Hamelinaye. J’avais eu l’occasion de voir ces deux officiers supérieurs à l’armée d’Espagne, dont nous parlâmes beaucoup. Arrivés à Saint-Parres-aux-Tertres et lorsque nous nous reposions tous sur la paille ainsi quel e général en chef, le colonel Dufay qui prétendait avoir été très content de moi à l’attaque des ponts de La Guillotière pria son collègue Saint-Rémy de m’envoyer à sa division en qualité d’adjoint.
Celui-ci, en plaisantant, lui répondit qu’il en était bien fâché, mais qu’il n’y consentait pas, que le comte Gérard lui avait bien parlé et avec le plus grand avantage de plusieurs officiers d’état-major qu’il avait demandés au Ministre de la Guerre avant de quitter Paris, que Son Excellence s’était empressée de le satisfaire sur ce point, qu’avis de l’expédition de leurs lettres de service était parvenu depuis quinze jours et même trois semaines, qu’aucun d’eux n’était encore arrivé à son poste, tandis que le camarade Simon, dont la commission « a été signée le 31 janvier, s’est déjà battu aux avant-postes le 4 février courant, d’où en ma qualité de chef d’état-major général et sans vouloir préjuger sur le mérite des officiers choisis par notre général en chef, je m’adjuge le commandant Simon. »
Le général en chef qui semblait prendre un certain intérêt au colloque établi entre Messieurs Saint-Rémy et Dufay, répondit qu’il allait les mettre complètement d’accord, qu’étant lui aussi fort content de moi, ce serait désormais de lui dont je ressortirais, que dès ce moment mes fonctions près de lui seraient celles d’aide-de-camp. Je me trouvai singulièrement flatté de cette distinction et j’en remerciai le compte Gérard, Monsieur de Rumigny, chef de bataillon, était breveté son premier aide-de-camp depuis la campagne de Russie. Il était en ce moment auprès du général et ne l’a pas quitté, non plus que moi pendant toute la campagne de 1814. Ces détails préliminaires que j’aime tant à me rappeler, m’ont paru nécessaires pour faire connaître la manière dont j’ai fait connaissance avec le comte Gérard. Je puis dire, sans amour-propre, que jusqu’à l’abdication de l’Empereur à Fontainebleau le 11 avril 1814, j’ai su dans beaucoup de circonstance lui fournir la preuve que j’étais réellement digne de l’espèce de prédilection subite dont il m’avait honoré et du vif intérêt qu’il n’a cessé de me porter pendant vingt années.
Mais depuis la glorieuse Révolution de Juillet, j’ai pu me convaincre sans jamais en avoir pu connaître les motifs, qu’il n’avait conservé qu’un souvenir bien pâle de son ancien compagnon d’armes.
Qu’on me lise jusqu’au bout, qu’on lise également sa correspondance avec moi, à l’occasion de sa polémique avec le maréchal Grouchy, sur les causes qui ont amené la perte de la bataille de Waterloo. Le rôle important de que le comte Gérard m’y fait jouer, en ma qualité de faisant fonction de chef de son état-major, puisque pour faire connaître la vérité, il ne s’appuie en grande partie sur les faits consignés dans mon rapport sur les opérations du quatrième corps d’armée qu’il commandait…
Charles SIMON-LORIERE.
Ce texte qui est un extrait du manuscrit original a été publié la première fois en 1989 dans « L’Émoi de l’Histoire » (n°3- 2ème trimestre), bulletin de l’Association des élèves du Lycée Henri IV (Paris). Ce numéro n’est plus disponible.