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Réflexions... dans TEMOIGNAGES m1812

« Le spectacle hideux de la destruction incendiaire et des suites qui s’y rattachaient a duré pendant six jours. Le feu n’avait respecté que le Kremlin, les édifices qui l’avoisinent, le vaste et magnifique hôpital des enfants trouvés, quelques maisons des faubourgs et le quartier franc, appelé le pont des maréchaux et occupé par les modistes françaises. Je rappellerai que lorsque l’incendie se montrait avec le plus de fureur, Napoléon, logé au palais impérial, que les flammes menaçaient de toutes parts, quitta le théâtre de la désolation avec sa Garde et le grand quartier-général pour aller s’établir hors de la ville au palais de Pétrowsky. Deux jours après il revint au Kremlin. Sa Garde et le grand quartier-général se logèrent dans le quartier franc. Nous trouvâmes à Moscou d’immenses quantités de marchandises et d’objets précieux, ainsi que des boissons et des comestibles de toute espèce en grande abondance, surtout de la viande salée, de la farine, du poisson, du thé, du café, du sucre, de l’eau-de-vie, du rhum, du vin, etc. Les meilleures sortes de vins de tous les pays et les liqueurs les plus exquises et les plus recherchées y étaient en profusion… Il n’y a certainement pas d’exagération à dire que Moscou , au moment où nous y entrâmes, renfermait assez de vivres pour alimenter l’armée pendant l’hiver, bien que l’ennemi, fidèle à son système et inébranlable dans ses dispositions destructives prises à notre égard, n’eût rien négligé pour nous ôter les prodigieuses ressources de cette ville, ressources sur lesquelles  nous avions tant compté et fondé notre espoir d’avoir de bons quartiers d’hiver. Rostopchine avait mis tout en œuvre, pendant plusieurs jours avant notre arrivée, pour faire vider les magasins et nous soustraire tout ce qui pouvait servir à notre entretien. Si au lieu de permettre le pillage, on avait fait observer sévèrement l’ordre et la discipline parmi nos troupes à Moscou, et si l’on avait fait une sage répartition des vivres que nous y découvrîmes, que de désordres, que de malheurs n’aurait-on pas prévenus !…

Dans les premiers jours de notre arrivée à Moscou, on a pu voir combien il est nuisible pour la santé de changer subitement d’une condition physique à l’extrême opposé ; on a pu voir que rien n’est plus contraire à la conservation d’une armée que le passage d’un état de dénuement à un état d’abondance, si l’on ne prend pas de sages précautions pour y amener le soldat graduellement : nos troupes, soumises depuis longtemps aux plus rudes privations, épuisées par la fatigue et des souffrances de toute espèce, tout exténuées et affamées faisaient les plus grands excès dans le boire et le manger, d’où naissait un nombre effrayant de malades : même une quantité de nos hommes ont succombé subitement en se gorgeant d’aliments, ou en s’adonnant sans mesure à la boisson. On rencontrait des milliers de malades de notre armée dans les débris des maisons incendiées,où ils s’étaient réfugiés. Plusieurs des vastes bâtiments épargnés par l’incendie consacrés à servir d’hôpitaux. Mais l’état d’abondance n’était que très momentanée pour la plupart de nos troupes. Durant me séjour de Napoléon à  Moscou, on observait un contraste singulier, une partie de l’armée avait du superflu, et l’autres mourait de faim. Ceux qui étaient dans la ville lors de l’incendie purent se procurer des secours alimentaires ; mais il n’en fut pas de même de ceux qui arrivèrent plus tard et de ceux qui bivouaquèrent aux environs. Le grand quartier-général et la Garde impériale, séjournant dans l’intérieur de la ville, où ils découvrirent encore des vivres, durant plusieurs jours, dans les caves des maisons dévorées par le feu, vécurent dans l’abondance, tandis que nos corps d’armée, établis hors de Moscou que les routes de Twer, de Jaroslaw, de Wladimir, de Rezan et de Kalouga, étaient affligés de la plus grande misère : ils étaient réduits à manger de la chair de cheval et avaient à combattre la faim, les maladies et la mort. »

(Joseph de Kerckhove, « Mémoires sur les campagnes de Russie et d’Allemagne (1812-1813) », Édité par un Demi-solde, 2011, pp.86-89). L’auteur était médecin attaché au Quartier-Général du 3ème corps (Maréchal Ney).

 

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